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Le « Long Livers » de Chamber mérite d’être lu. Voici le passage sur les Arts Libéraux.
« Nul n’est digne d’être l’un des vôtres (les francs-maçons) s’il ne connaît (et aime) un ou plusieurs des sept Arts Libéraux qui dépendent en fait les uns des autres : Musique, Harmonie et Proportions en constituent la trame. Le plus grand, le plus sublime de tous est l’Astronomie… Par elle fut exposée la gloire du Très-Hauts. Les Cieux proclament la gloire de Dieu et le firmament annonce l’œuvre de Ses Mains.
La terre que nous habitons, est une structure merveilleuse avec sa variété de végétaux, ses animaux et ses minéraux, tous d’origine divine. Une mouche est autant objet d’admiration pour le plus sagace des philosophes, que l’homme fier et hautain, qui se prétend rationnel mais fait si mauvais usage de sa raison, qui se veut seigneur de la Création mais, tel un véritable tyran, en dévore le tiers pour entretenir sa prétention. Ce petit insecte négligeable a les mêmes organes tout aussi proportionnés (que les nôtres), son œil à une choroïde, une rétine et une humeur vitrée ; son corps a ses vaisseaux, son sang et sa lymphe tout comme nous.
Que sommes-nous, nous sur ce globe minuscule sous l’architecture de la voûte céleste, voile déployé par le Sublime Architecte des Mondes, rideau orné d’étoiles sans nombre et circonscrit au départ d’un point par les branches de l’éternel compas ? Il est lui-même le centre de toutes choses, d’un cercle dont la circonférence est inconnue. Il dispose sa balance pour peser toute chose selon l’éternelle et incorruptible justice, qui souvent révèle la légèreté des actions humaine. Il a créé une infinité de mondes (pour autant que nous le sachions) et ces luminaires, à notre connaissance, sont mus par des lois qu’il leur a attribuées, de même que leur influence, intelligence et démon.
Tout cela, le royal psalmiste l’a observé, qui humilie le plus fier des esprits et convainc le plus distingué des philosophes que la seule chose qu’il sache, c’est qu’il ne sait rien. » (KJ&H, 1978, p.45)
Dans sa « Dedication » à Long livers datée du 1er mars 1721, Samber décrit son destinataire (la Grande loge de Londres) en lui prêtant trois traits qui caractériseront précisément cette obédience deux ans plus tard dans les Constitutions de 1723, signe qu’à la date du 1er mars 1721 cette obédience avait déjà défini son point de vue qui, selon Samber, comprenait trois éléments :
1 : Référence aux sept arts libéraux : « il ne mérite d’être des vôtres celui qui ne connaît pas… l’un ou plus des sept arts libéraux ». Le fait qu’au 1er mars 1721 la GL de Londres s’intéressait déjà aux sept arts libéraux sera confirmé par le fait que dans la première partie des Constitutions de 1723 relative à l’histoire de l’architecture, Anderson compilera entre autres choses des Anciens devoirs (lesquels traitaient de ces arts).
2 : Référence à la loi naturelle : « Vous voyez maintenant ce qu’est notre profession : c’est la loi de nature ». Le respect de cette loi morale naturelle sera en effet présenté à l’article I des « Devoirs » des Constitutions de 1723 comme la seule obligation des maçons (« être des hommes bons et vrais ou hommes d’honneur et honnêtes »).
3 : Ni politique ni religion : selon Samber les maçons doivent « éviter la politique et la religion » car « nous n’avons ni religion ni politique ». De fait cette prise de position sera reprise par Désaguliers dans les « Devoirs » des Constitutions de 1723.
Ce n’est donc pas seulement l’obédience GL de Londres qui existait déjà au 1er mars 1721, c’était aussi une partie de son programme culturel, le fait que Samber l’ait publié dans un ouvrage adressé à l’obédience attestant que les trois thèmes en question étaient bien à cette date le fait de l’obédience.
On lit dans « The Constitutions of the Ancient fraternity of Free and Accepted masons …. A new Edition by John Noorthouck », 1784, p. 221
Le jeudi 29 janvier 1730, Thomas Howard, duc de Norfolk (un catholique) fut installé GM (de la GL d’Angleterre) par son prédécesseur, James, 4° duc de Kingston (un Irlandais).
La cérémonie eut lieu au Merchant-Taylors’Hall (threadneedle street). Elle débuta par une entrée cérémonielle avec en tête les anciens Grands Maîtres par ordre d’ancienneté : Lord Coleraine (1727-1728), Earl of Inchiquin (1727), Lord Paisley (1726), Duke of Richmond (1724-1725), Earl of Dalkeith (1723), Duke of Montagu (1721), Dr. Desaguliers (1719), George Payne Esqu. (1718 et 1720), Mr Anthony Sayer (1717).
D’après la mode actuelle, tout cela est forgerie : il n’y eut pas de GM avant Montagu. Tous ces gens furent complices, volontaires ou non, du « mensonge » d’Anderson (ils étaient de toute façon tous morts en 1784).
Robert Samber adressa Long Livers (London, 1722) à la Grande loge de Londres et en particulier à son grand-maître. Or comme la préface (« Dedication ») de cet ouvrage est du 1er mars 1721, et qu’un grand-maître était élu de juin au juin de l’année suivante, la Grande loge de Londres existait donc déjà en juin 1720.
En 1966, Harry Carr a publié dans AQC (vol 79, p. 289-292) un petit article sur « la signification de 1717 » il soulignait que cette date devait être replacée dans le prolongement des 360 années précédentes. Au cours des 70 années précédentes (1650-1717), les loges Anglaises n’exerçaient plus aucun contrôle sur le métier de la pierre (ni sur celui d’architecte) même si c’était le gagne-pain de certains de leurs membres.
Les acteurs de 1717 (quelle que soit la date exacte de l’événement, le 24 juin ancien style tombant en juillet de l’autre côté de la Manche), n’avaient d’autre but que de se réunir et de fêter l’occasion (la fête de la St-Jean Baptiste, mais aussi le jour le plus long de l’année). Une loge étant le lieu de rencontre de maçons (comme l’écrira Anderson), une grande loge est le lieu de réunion de maçons de plusieurs loges. Pour l’occasion, ils élirent un grand maître pour les présider et deux surveillants pour veiller que les convives ne sombrent pas dans les excès habituels de l’époque. Ils n’avaient aucune arrière-pensée connue (telle que promouvoir leur statut, imposer leur autorité aux loges existantes, les fédérer en une association administrative centrale, enlever aux quatre loges leur autonomie ….). Ils ne se sont sûrement pas rendu compte que le moment deviendrait page d’histoire (pour ceux que notre petite société intéresse) ! Dans l’émotion (l’ivresse du moment), ils décidèrent de renouveler leur fête annuellement (voire tous les trois mois).
Ils tinrent parole et se revirent l‘année suivante, puis l’année d’après. Leur initiative eut (pourquoi ?) du succès. De nouveaux participants s’ajoutèrent (parfois de qualité). Le dîner devint plus formel, avec des toasts (avant que les convives ne se laissent aller aux célébrations d’usage). En 1720 ou 21, le noble le plus riche, un proche du roi George I, le duc de Montagu, FRS comme il se doit, whig dans l’âme, protestant et antipapiste, se laissa convaincre d’entrer dans le cercle et d’en devenir le Grand Maître. Il fut proposé par le GM (George Payne) de l’année en cours, le Lady-day 1721 (jour de l’ascension, 25 mars dans les pays de langue anglaise).
Le choix de cet homme de cour fut à l’origine d’un effet de mode fut fulgurant, le succès inattendu. La réunion du 24 juin 1721 dut être déplacée de la taverne des débuts, proche de Saint-Paul, au Hall de la Company des éditeurs (Stationers’Hall). Trois cents personnes y assistèrent (on peut mettre le chiffre en doute). La journée fut un succès. Le Grand Maître (descendant de charge), après le dîner et les grâces finale, présenta son successeur, le duc de Montagu, à l’assemblée. Après la partie formelle de la journée, la fête de termina dans la joie et l’harmonie (comme cela est relaté dans une œuvre du temps, Ebrietatis Encomium (1723), par Boniface Oinophilus, pseudonyme possible de Robert Samber, traducteur de Charles Perrault).
Il faut être naïf pour penser qu’une fête de ce genre s’organise sans préparation, envoi de convocations, diffusion d’invitations, location et préparation de la salle, prévision du menu, commande des boissons, encaissement de la participation et paiement ad hoc au propriétaire (car rien n’est gratuit !) …. Tout cela ne se fait pas sans une aide logistique en hommes et en matériel, qui n’est autre que l’ébauche d’une organisation administrative qui deviendra celle des rouages de la Grande Loge au sens que nous entendons par-là. La mode actuelle (répéter que la GL de Londres & Westminster fut créée (comme par enchantement) le 24 juin 1721, au départ de rien, car il n’y aurait rien eu avant cette date) ne résiste pas, me semble-t-il, à un simple examen des récits du temps.
16 et infra : Quelles sont les sont les circonstances sociales, économiques ayant prédestiné à la création de la GL de Londres ?
Y a t il un lien anterieur avec la F.M écossaise qui elle même avait un lien professionnel mal défini ?
Le rapport entre la GL de Londres de 1717-1723 et la tradition des constructeurs de cathédrales réside dans le fait que la loge de la cathédrale Saint-Paul, qui se réunissait à la taverne L’Oie et le gril, possédait un Ancien devoir datant de 1686 (les Anciens devoirs célébraient allégoriquement la typologie salomonienne et les vicissitudes historiques de l’art gothique) : l’Antiquity n° 2 avec lequel elle avait reçu en loge Christopher Wren en 1691 au rite précisément des A.D. (John Aubrey, The Natural history of Wiltshire).
On peut ressasser jusqu’à plus soif les sociétés pythagoriciennes, la spiritualité des bâtisseurs de cathédrales, la philosophia perennis et le mot de maçon…, cela ne doit pas faire oublier que Londres fut un chantier à ciel ouvert pendant les trente ans qui suivirent l’incendie de 1666 qui avait totalement détruit près des 2/3 de la ville (dont le Masons’hall de la Masons’ Company).
La reconstruction, dirigée entre autres par Sir Christopher Wren, bouleversa la structure des « Companies » (« guildes » si l’on veut), supprima leurs monopoles médiévaux, leur contrôle exclusif et tatillon du (des) métier(s), leur autoritarisme hiérarchique. Le besoin de main d’œuvre appela dans la ville quantité de travailleurs et artisans ne bénéficiant ni de la « franchise » de la cité ni des hypothétiques « connaissances ésotériques » que certains leur attribuent. Ils y furent admis par décision royale (voir E Conder, 1894, The Hole Craft and Fellowship of Masons). C’est dans un monde neuf qu’apparurent les modes associatifs (clubs et .. « loges » !) du plus grand centre urbain de l’Europe de l’époque.
Je lis : « Maintenant, rien n’est expliqué. Pourquoi cela est il né ? pourquoi un tel succès en quelques années ? Et surtout quel est le rapport entre ce club « qui réussit » et les « constructeurs de cathédrale » de la légende vénérée par d’aucuns ? Là reste la question. »
Un lecteur ami m’écrit : « Il me semble quand même que la maçonnerie s’est greffée sur un système initiatique plus ancien. De nombreux groupements initiatiques existaient jusqu’à la chute de l’empire romain (pythagoriciens, culte initiatique de Mithra, etc…) ont-ils disparu sans laisser de traces ?
Y a-t-il des restes de ce genre de société au Moyen Âge (on prétend que Dante était initié). »
Bref : pourquoi cela est-il né, et tant qu’on y est, comment cela est-il né ?
Si les maçons d’aujourd’hui n’ont pas l’intuition des réponses à ces questions, c’est qu’ils n’ont fait que lire leur rituel sans chercher, soit à comprendre quelque chose, soit à remettre en question leurs diverses croyances ; et bien souvent les deux ! d’où la différence soulignée par Guénon entre initiations virtuelle et effective.
J’ai écouté sur You Tube les conférences prononcées lors du colloque organisé par AQC en 2017 (avant de pouvoir les lire dans le prochain n°). C’est du plus grand intérêt.
Tous les conférenciers (Prescott, Berman, Somers et Hamill) sont d’accord pour dire que l’organisation administrative d’une GL ne fut pas créée en 1717, mais ne fut finalisée qu’en 1723 (avec la nomination d’un grand secrétaire). En revanche, tous admettent qu’il s’est passé quelque chose en 1717, même si ce ne fut qu’un dîner festif réunissant quelques dizaines de personnes choisissant un « Grand Maître » pour présider la soirée. Ce « dîner festif » se répéta d’année en années et attira de plus en plus de participants jusqu’à devoir se tenir dans le bâtiment d’une « Livery Company (1), celle des éditeurs, et non plus dans une salle de taverne, pour l’installation du premier GM appartenant à l’aristocratie, en 1721. Celui-ci, le duc de Montagu, était un familier de la cour de George I, farouchement hanovrien et très proche des milieux huguenots.
Les « présidents » (GM) successifs sont connus de 1717 à 1721, et ils étaient encore vivants lors de la publication par Anderson de son histoire en 1738. Or, si on suit Prescott, ces « survivants » auraient tous été complices de la « forgerie » d’Anderson, pour des raisons vénales pour certains, politiques pour d’autres. Il est pourtant difficile de croire que tous étaient complices, Payne, Désaguliers, Delafaye, Montagu, Richmond, Stukeley, Cowper … d’autant que, d’après Prescott toujours, un des objectifs aurait été d’aider financièrement Anthony Sayer tombé dans le besoin (Prescott va jusqu’à dire que sa Grande Maîtrise aurait été inventée, a posteriori, pour lui assurer le soutien financier de la GL).
Prescott sa base en outre sur un livre de minutes de la loge Antiquity (celle qui se réunissait au Goose and Gridiron, parvis de St-Paul) qui rapporte qu’à l’occasion de l’installation du duc de Montagu en juin 1721, les 4 loges « fondatrices» auraient remis la totalité de leurs « pouvoirs » (notamment de faire des maçons et de se réunir sans autorisation de quiconque) au Grand Maître. C’est cette décision qui serait le véritable acte de naissance de la Grande Loge de L&W (en tant qu’entité effective). Le premier Grand Secrétaire sera nommé deux ans plus tard.
La validité de ce livre de minutes est discutée par Hamill et surtout par Colin Dyer. Il semble écrit a posteriori, lors de la sécession momentanée de la loge Antquity (celle qui se réunissait au Goose and Gridiron justement).
Certes le récit d’Anderson de 1738 ne peut être exact dans les détails. Il a menti par omission ou autrement sur plusieurs points. Il s’est trompé sur d’autres. Mais rejeter en bloc tout ce qu’il rapporte est sans doute excessif. Maintenant, rien n’est expliqué. Pourquoi cela est-il né, pourquoi un tel succès en quelques années ? Et surtout quel est le rapport entre ce club « qui réussit » et les tailleurs de pierre de la légende ?
La dimension politique de l’événement ne fait aucun doute pour personne : c’était une réunion de partisans du régime parlementaire, de la monarchie constitutionnelle et de la dynastie protestante des Hanovre. Et parmi ces « Whigs », les huguenots d’origine française jouaient un rôle éminent. Comme l’a rappelé Ric Berman, la menace jacobite (qui aurait signifié le retour de l’absolutisme des Stuarts et du papisme, sans compter le triomphe de l’hégémonie français) planait sur l’Angleterre de 1720 et elle persista jusqu’en 1750.
Comme l’a dit Cécile Révauger, les historiens français de la maçonnerie sont depuis toujours fascinés par le « romantisme » de la cause jacobite qui les empêche de voir vraiment ce qui s’est passé outre-Manche.
Andrew Prescott a répété sa thèse des « mensonges d’Anderson » dans sa relation de 1738, qui lui auraient été imposés par les dirigeants de la Grande Loge d’Angleterre.
1) Le Stationers’hall (endroit prestigieux de la City) est situé à 0,2 miles du St-Paul churchyard (angle NO de la cathédrale) où se trouvait la taverne « the goose and the gridiron ». C’est le trajet qu’a fait pied (et en décors) la procession conduisant le duc de Montagu au lieu de son installation.
Thomas Manningham, député GM de la Grande Loge d’Angleterre de 1752 à 1757 (la GL des « moderns »), répondit le 12 juillet 1757 à une lettre d’un dignitaire de la Grande Loge de Hollande (archives du GO des PB). Le 26 décembre 1756, 10 loges hollandaises s’étaient réunies à La Haye à l’invitation de la loge « La Royale » fondée en 1752 par une patente anglaise accordée par Lord Carysford (GM 1752-1753). Elles avaient élu Albregt Nicolaas, baron van Aersen Beijeren, Grand Maître de la maçonnerie hollandaise (c’est le début de l’actuel Grand Orient des Pays-Bas). Dans cette lettre, H.Sauer (2° Grand Surveillant) demandait au DGM anglais ce qu’il fallait penser des grades chevaleresques qui se répandaient dans la République (Batave) depuis une dizaine d’années. La réponse fut très négative, ce qui ne surprendra personne, mais l’intérêt de la lettre est la mention de Sir Christopher Wren comme « prédécesseur du GM Payne », celui qui fut GM en 1718 et 1720 (il décéda en février 1757, quelques mois seulement avant que cette lettre fût rédigée, son auteur avait donc du le connaître personnellement).
[La lettre se trouve dans E.A. Boerenbeker Anglo Dutch Relations from 1734 to 1571. AQC 83 (1970): 149-176.]
« Ces innovations (nb : le chevalier d’orient) sont (apparues) ces toutes dernières années, & je crois que les Frères ne trouveront que difficilement un Maçon qui en ait été informé il y a vingt ou plutôt 10 ans. Mon propre père a été Maçon pendant 50 ans, il a été en loge en Hollande, en France et en Angleterre. Il ne connaît aucune de ces cérémonies. Elles sont inconnues du Grand Maître Payne qui a succédé à Sir Christopher Wren, comme elles le sont d’un Frère de 90 ans avec qui j’ai discuté récemment. Il fut fait Maçon dans sa jeunesse … et n’a jamais entendu parler ni connu d’autres cérémonies ou mots que ceux en usage parmi nous. »
Ce sont là deux témoignages des années 1700-1720, antérieurs en tout cas à 1721, qui parlent (ou en tout cas ne les démentent pas) de la Grande Maîtrise de Payne (GM en 1718 et en 1720) et de celle, nécessairement plus ancienne, de Sir Christopher Wren (1637-1723) qui aurait été « adopté » le 18 mai 1691 d’après une note de John Aubrey dans son Journal (This day … a great convention at St. Paul’s church of the Fraternity of Accepted Masons where Sr. Christopher Wren is to be adopted a Brother).
Il n’y aurait rien de plus normal que Wren, personnalité importante de l’époque, Maître des Travaux du Roi et architecte de la reconstruction de Londres après l’incendie de 1666, connaisse la Compagnie des Maçons (dont il devait utiliser les services !) et qu’il ait à l’occasion fréquenté son club fermé à vocation conviviale, l’Accepcion réservée à l’élite de la Compagnie et à des gentlemen choisis. Qu’en plus il ait reçu un titre honorifique de ce « club » assez semblable à ceux qui faisaient fureur à Londres n’a rien qui puisse étonner. (M. Scanlan : “The Master of the Masons’ Company in 1691 was John Thompson, whose workshop supplied work for Wren, and who, as Ashmole’s Diary entry proves, was a member of the `Acception’ lodge nine years earlier”).
Remarquons que Wren aurait été « adopté » dans la Fraternité des Maçons « Acceptés », ce qui rend encore plus plausible qu’il se soit agi d’un titre honorifique.
Le symposium de 2017 d’AQC sur « 1717 » est assez remarquable et devrait être écouté par tous (des sous=titres sont disponibles, mais il faut se méfier des transcriptions débridées des mots français).
J’en retiens surtout que la date de début du « système administratif » de la GL de L et de W date de 1721, alors qu’auparavant c’était simplement une réunion occasionnelle de convives qui se choisissaient un président (appelé Grand Maître pour l’occasion). Ces « présidents » (GM) successifs sont connus et bien réels, de 1717 à 1721. Ils étaient encore vivants lors de la publication par Anderson de son histoire en 1738 et ils ne l’ont pas désapprouvée. Si on suit A.Prescott, ces « survivants » auraient tous été complices de la «forgerie » d’Anderson, pour des raisons vénales pour certains, politiques pour d’autres. C’est une histoire que j’ai du mal, je l’avoue, à gober.
Admettre que tous étaient complices, Payne, Désaguliers, Delafaye, Montagu, Richmond, Stukeley … C’est quand même un peu gros, d’autant que si on suit Prescott, le ressort initial aurait été d’aider financièrement Anthony Sayer tombé dans la dèche.
Certes le récit d’Anderson de 1738 ne peut être exact dans les détails. Il a menti par omission ou autrement sur plusieurs points. Il s’est gouré dans les détails. Mais de là à rejeter en bloc tout ce qu’il rapporte est sans doute excessif.
Par contre, la démonstration de R.Berman qui replace tout cela dans le contexte de l’époque, dans une Angleterre aux abois entre l’absolutisme français et l’intolérance papiste, est plus que séduisante.
Maintenant, rien n’est expliqué. Pourquoi cela est il né ? pourquoi un tel succès en quelques années ? Et surtout quel est le rapport entre ce club « qui réussit » et les « constructeurs de cathédrale » de la légende vénérée par d’aucuns ? Là reste la question.
Andrew Pink, dans sa thèse sur la culture musicale en Angleterre (The musical Culture of Freemasonry in early eighteenth Century England, 2007), montre que la taverne L’Oie et le Grill était la maison de la guilde (londonienne) des musiciens et le lieu de leurs réunions. L’enseigne de la taverne portait en réalité un Cygne et une Lyre, qu’il était aisé de confondre avec une oie et un grill.
Le registre de cette guilde comporte une entrée, le 24 juin 1717, qui rapporte un paiement ce jour-là de 2 d /6p, avec la mention « frais de concert ». Or c’est justement la date citée par Anderson ! La concordance de date est stupéfiante et il est bien difficile de ne pas faire le rapprochement : les francs-maçons auraient profité de l’occasion pour agrémenter leur dîner d’un accompagnement musical. Certes, l’objet de ces frais n’est pas mentionné dans le registre et il faut être prudent (il peut s’agir de tout autre chose). Mais l’idée n’est-elle pas belle ?
Cité par Andrew Prescott, Die erste Erwâhrung der Gross-Loge ? in Wurzeln der Freimaurerei. 2016, pp 287-292
Pour Dachez, historien, il ne s’est rien passé le 24 Juin 1717. C’est sans doute pourquoi Dachez, Président de l’Institut Maçonnique de France, ne juge pas utile de coordonner les événements commémoratifs du tricentenaire.
L’article de Pierre Girard- Augry (Les survivances opératives en Angleterre et en Ecosse, VdH 2° série, 1981, 3 :100-121) est très intéressant, bien documenté et présente des faits inédits jusque-là, glanés par Stretton et Yarker dans les dernières années du XIX° siècle. Ces faits ne reposent sur aucune preuve documentée et doivent être accueillis avec une méfiance certaine malgré, ou peut-être à cause de leur aspect séduisant (trop séduisant même). Guénon en tout cas fut séduit ! (lire dans le même volume, Jean Tourniac, l’Ordre Royal d’Ecosse et les Opératifs dans la perspective de René Guénon. p 122-155). Les rituels opératifs semblent bien une reconstruction enthousiaste, ce qui n’enlève rien à leur intérêt bien réel.
La Worshipful Society of Free Masons, Rough Masons, Wallers, Slaters …. » , organisée en 1913, est pour beaucoup ce que les systèmes de degrés « au-delà de la maîtrise » ont secrété de mieux dans la franc-maçonnerie anglaise. Initialement animée par Clement Stretton et John Yarker (sans oublier Miss Debenham), elle reprend les récits malicieux de Dermott, tout ce qu’évoque Négrier et ce qu’admirait R.Guénon, mais elle a la sagesse d’ajouter que rien de tout cela n’est prouvé.
Comme l’écrit la Society dans un livret explicatif :
« Le but de la société est de préserver la mémoire, perpétuer les pratiques des Francs maçons opératifs qui existaient avant la Franc maçonnerie spéculative ou qui ont subsisté en dehors d’elle, d’après une certaine tradition….
La société ne prétend pas être le successeur ni avoir de lien avec une société plus ancienne de même nom ou de nom similaire. Elle ne prétend pas non plus que ses cérémonies représentent ou ont jamais représenté les pratiques des tailleurs de pierre ou autres artisans… »
Il faut que les faits existent en quantité suffisante permettant de recouper les sources. Ensuite, ne pas fermer la porte à d’autres faits nouveaux qui peuvent surgir et changer la donne. Quant à leur interprétation, nous sommes de humains, et pas encore des robots. C’est là qu’interviennent les opinions, qui doivent être considérées comme provisoires et subjectives. L’histoire est une « science » qui requiert l’humilité et l’emploi du conditionnel.
De nos jours en France les « enfants naturels » jouissent des mêmes droits que les enfants « légitimes ». Il serait temps que les Grandes Loges fassent de même et que les questions de filiation anglaise, écossaise, irlandaise, égyptienne, extra-terrestre ou autre soient remises à une place plus modeste.
L’une des difficultés étant comme bien souvent ailleurs l’absence de documents authentiques, indiscutables et précis. Un faussaire inspiré est parfois bien utile.
Qu’importe qui a dit une parole juste si elle est porteuse de bien.Si elle est reprise plus tard par d’autres tant mieux.
Il n’est pas question ici d’opinions. Il est question d’histoire, et donc de faits qui se documentent et s’établissent comme tels. Il est peu utile d’avoir plusieurs « points de vue » sur l’existence de Napoléon.
Elle est hélas indiscutable, malgré la littérature abondante qui énonce sur ce sujet des points de vue voisins du bavardage.
Il n’est pas question d’opinion mais de faits, certes. Mais il s’agit de savoir quels faits on sélectionne et surtout comment on les interprète…
Il est heureux que l’histoire de la FM ne soit pas écrite que par une seule main. Pierre Noel est un des chercheurs importants, même s’il est moins connu que certains.
Il en est de même de Michel Konig, auteur de « L’initiation de la FM – rétablissement d’une vérité historique » (éditions Conform).
Il est plus utile de lire plusieurs points de vue pour se faire une opinion.
Anderson devint en 1710 le chapelain de la loge de la cathédrale Saint-Paul qui se réunissait à l’auberge L’Oie et le Gril. Sur les rôles d’Anderson et de Désaguliers dans les étapes qui, de l’automne 1714 à l’été 1717, précédèrent la création de la Grande loge de Londres, il faut lire : Pierre MEREAUX, Les Constitutions d’Anderson, imposture ou vérité ?, Monaco, Rocher 1995.
L’ouvrage de Méreaux est effectivement une source précieuse d’information. En ce qui concerne Anderson et Désaguliers entre 1714 et 1717, il s’agit notamment du récit qui a été à la base de la fondation des Operatives en 1913 (qui a également fait l’objet d’un article dans les Cahiers de Villard). A consulter également: les proceedings de la conférence tenue à Cambridge à l’automne 2016.
J’aurais dû effectivement être plus précis en indiquant que le récit en question n’est corroboré par aucun document et qu’il n’est nullement présenté comme authentique… une situation à comparer avec celle du récit d’Anderson de la période 1717-1721 de la Grand Lodge. Pour Villard, il s’agit du n°3 (deuxième série).