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Les « Anciens Devoirs » des maçons britanniques n’intéressent plus grand monde, comme l’a justement écrit John Belton dans sa postface (p.165) à l’ouvrage de D.Taillades. Et c’est bien vrai ! Après une bouffée d’enthousiasme qui suivit leur redécouverte (au tournant du XIX° et du XX° siècle) et les commentaires de Gould, de Poole, de Begemann, de Hughan et du duo Knoop & Jones, la vague s’est quelque peu éteinte.
Plus récemment, la traduction française des documents les plus importants (et les plus anciens) fut présentée par l’équipe groupée autour de Frédéric Tristan, puis par Patrick Négrier et par Guy Chassagnard parmi d’autres. David Taillades en propose une chronologie nouvelle (que discuteront les spécialistes) et surtout une interprétation qui renouvelle et réactive la thèse bien connue des « traditionnalistes ». Les « Anciens Devoirs » contiendraient, pour qui sait les lire, la preuve que les « mystères » furent transmis par les maçons médiévaux à leurs successeurs spéculatifs de l’âge classique d’abord, puis à leurs lointains héritiers, les francs-maçons d’aujourd’hui. D.Taillades n’en doute pas. Il estime cette thèse évidente, indiscutable, et sa défense enthousiaste fait plaisir à lire dans ses réponses à mes questions. Il souligne certains passages jusqu’ici inaperçus. Il fait plus d’une fois des remarques intéressantes. Mais si sa conviction est sans pareille, sa thèse ne convainc pas vraiment, pas plus que ses arguments exposés sans détour dans l’épilogue (pp. 145-156). En d’autres mots, je n’y crois pas et, comme le disent nos voisins, « I agree to disagree ». Discuter de points qui paraîtraient de détail ou « techniques », ouvrant des discussions interminables, … ne serait d’aucune utilité puisqu’on ne convainc jamais que les convaincus ! Je m’en abstiendrai mais je ferai seulement une remarque, en revanche vraiment « technique ».
Mystery a plusieurs sens en anglais. Le premier est le même qu’en français et désigne quelque chose de … « mystérieux » : une énigme, une devinette ou un secret. Il sert aussi à désigner les « Mystères » antiques révélant aux seuls initiés un culte ou une doctrine secrète (on connaît les Mystères d’Eleusis, ceux de Mithra). C’était le nom donné aux scénettes d’inspiration biblique (ou de la Légende Dorée) jouées au moyen-âge sur le parvis des cathédrales. « Le mystère de la foi » est une formule répétée chaque dimanche dans les églises de nos pays.
Mais il a (en anglais) un autre sens, archaïque et peu usité. « Mystery » est simplement le « métier », venant du vieux français « mestier » (lui-même venant du latin ministerium). Je ne donnerai qu’un exemple, tiré des London Masons’ Ordinances de 1521. C’est une supplication adressée au Lord Maire et aux échevins de la ville de Londres. Il commence ainsi :
« Humbly besechen your good Lordship and Maistership the Wardeyns and company of the mister of Masons Fremen of this Citie that there been dyvers Articles necessary and expedient to be added to the ordinaunces of their mistere aswele for the Common Weale ….” [Nous, les Guardiens (et) de la compagnie du métier de maçons, bénéficiant de la franchise de cette cité, prions votre seigneurie que soient ajoutés divers articles nécessaires et utiles aux ordonnances de leur métier ainsi qu’au Bien Commun … ]. (Knoop & Jones, The Mediaeval Mason, 1933, rééd 1967, p. 231)
Il est évident que D.Taillades connaît cet autre sens du mot, mais il n’est pas inutile de le rappeler à ceux de ses lecteurs qui l’auraient oublié.
L’ouvrage, comme mes recherches en général, ne sont pas là pour convaincre ceux qui ne veulent pas l’être…en effet 😉
Il est certain que venir battre en brèche l’idéologie ambiante en montrant toute ses lacunes méthodologiques et ses erreurs, ça passe pas très bien, ça peut même choquer :o) Chacun sait, depuis Einstein, qu’il est plus facile de casser une idéologie que le noyau d’un atome.
Si ma thèse ne convainc pas vraiment, du moins Pierre Noël et d’autres, elle convainc outre-manche, notamment du coté des AQC, mais aussi en France comme je l’ai constaté à ICOM.
Mais chacun doit se faire sa propre opinion en comparant les travaux des « spécialistes » sur le sujet et surtout en vérifiant les sources avancées.
Enfin, non seulement D. Taillades connaît bien les différents sens de « Mystery » (puisque c’est explicitement souligné dans le livre), mais il montre, justement, que dans le texte concerné il ne peut être traduit par « métier »… puisque la phrase n’aurait alors aucun sens… CQFD.
6 – il est assurément plus facile de casser le noyau d’un atome qu’une idéologie, ce qui n’étonnera pas ce cher Albert … ??
7 : oui ???
L’ « idée » de Prescott repose sur le constat que les Old Charges anglaises insistent sur l’obligation pour les « employeurs » de payer un salaire adéquat aux maçons, comme le voulaient les rois et princes réels ou imaginaires d’autrefois, de Nemrod à Athelstan, « that every Master give pay to his ffellows and Servants as they may deserve » (Lansdowne MS) à une époque où les Statutes ou Ordinances royales visaient à limiter l’augmentation des salaires.
le motif paraîtra futile aux férus d’ésotérisme et de sciences secrètes. Il l’était sans doute moins aux labourers, workmen, hardhewers et stonehewers de l’époque.
Nous avons la même chose avec l’article 1 du Cooke, comme je l’ai souligné.
L’original du Cooke est le plus ancien des textes que nous ayons. Donc, la légende n’est pas un ajout « tardif » comme l’avance A. Prescott dans l’article de 2006, Old Charges Revisited.
Cette hypothèse d’avoir inventé une légende pour raison de respectabilité est aussi puérile que celle qui a consisté à dire qu’elle remplace, dans l’imaginaire des maçons qui se déplaçaient tout le temps, leur domicile. Le « Household Imagery » de D Vance Smith, repris par L. H. Cooper est, lui aussi, une pure invention des chercheurs. Nous avons avec ces deux exemples des « idées » que se font les chercheurs… pas de preuves et encore moins des explications cohérentes… normal, la chronologie qu’ils emploient n’est pas la bonne.
PN a tout fait raison de souligner qu’il est important d’aller regarder les autres études qui existent concernant les Old Charges afin de se faire une idée objective des perspectives proposées. Il faut d’ailleurs regarder en détail les datations proposées et les justifications données de ces datations, notamment par la vérification des sources des auteurs étudiés. C’est un travail besogneux mais on voit ensuite clairement ce qui relève d’une analyse des sources, et de leur milieux, ou tout bonnement de l’idée que se font les chercheurs du sujet qu’ils étudient, en d’autres termes : l’idéologie sous le couvert du sceau de la science.
Concernant l’interprétation d’A. Prescott, malgré les travaux remarquables et précis de l’historien, elle ne repose sur rien de factuel. C’est « l’idée » qu’il se fait du sujet pour expliquer la présence de cette « légende ». Or, que je le mets en avant, il y a une autre approche de cette problématique de la légende dans les charges, une approche fondée sur des faits, des écrits et l’histoire de l’Angleterre…
A chacun donc de se faire sa propre opinion. Pour ma part, en ce qui concerne le sujet des Old Charges, je préfère désormais toujours aller vérifier les sources que de m’en remettre à des « autorités » qui déclament, sans jamais prouver quoique ce soit…
Peu de maçon s’intéressent encore aux Old Charges, soit qu’ils considèrent que c’est de l’histoire ancienne, soit plus simplement qu’ils n’en ont jamais entendu parler. L’entreprise de D.Taillades n’en est que plus méritoire puisqu’elle peut éveiller l’intérêt de quelques-uns pour un aspect oublié du passé de notre institution. Mais sa présentation risque aussi de faire oublier que d’autres analyses existent qui jettent sur ces « Constitutions gothiques » un tout autre regard (les deux n’étant pas nécessairement contradictoires).
La plus courante est celle qui souligne ces « charges » (en plus de considérations simplement morales) décrivent les obligations réciproques du « maître » (seigneur, maître d’œuvre ou « architecte ») et de ses ouvriers (labourers). C’est un contrat assurant que ceux-ci accomplissent sans faute l‘œuvre commandée et qu’en revanche l’employeur doit payer aux premiers des salaires convenables. Cette revendication prend tout son poids quand on se souvient que la politique du gouvernement (le roi, les propriétaires terriens, la noblesse, l’Eglise …) fut toujours au contraire de limiter les salaires et de les maintenir au taux le plus bas possible comme le montrent les « Statutes of labourers » successifs passés sous les rois Edouard III, Henri VI ou au temps de la reine Elisabeth I (l’ouvrage essentiel reste sur ce sujet The Mediaeval Mason, de Knoop & Jones, 1933, rééd. 1967). Or l’histoire légendaire qui précède l’énoncé de ces Charges justifie les salaires des maçons par la protection de rois et de princes prestigieux du passé (Nemrod, David, Salomon, Charles Martel, Alban, Edwin de Northumbrie, Athelstan de toute l’Angleterre et de son fils, ou frère, Edwin) qui ont garanti une juste paie mais aussi le droit pour les maçons de se réunir en une assemblée annuelle pour en discuter. La succession des Constitutions gothiques montre une élaboration de la légende au cours du temps, qui devient de plus en plus détaillée et précise jusqu’à lui attribuer un lieu (York) et finalement une date (926).
Si à cela on ajoute que ces documents n’ont pas été rédigés par une instance du pouvoir, royal, ecclésiastique ou autre (les employeurs) comme le sont les chartes officielles par exemple, mais semblent plutôt venir des maçons eux-mêmes, on comprend que Andrew Prescott ait appelé ce phénomène « la phase syndicale » de la maçonnerie (Old Charges revisited, 2006). Selon cet auteur, la « légende » des old charges ne vient pas d’un lointain passé que des maçons se seraient raconté le soir à la veillée ou au cours de réunions « secrètes », mais en réponse à la situation socio-économique particulière qui fit suite à la Grande Peste du XIV° siècle et aux périodes d’inflation des siècles suivants.