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BENJAMIN FRANKLIN
Le Franc-maçon, l’homme politique, le savant, le journaliste
Michel Warnery
L’esprit des institutions américaines a gravé dans le marbre les prémices d’une république démocratique moderne, un esprit fait à la fois de liberté, d’indépendance, de responsabilité. Cet esprit est maçonnique. Benjamin Franklin figure parmi les personnages illustres qui participèrent à cette aventure : celle de l’histoire des Etats-Unis d’Amérique.
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Le 17 janvier 1706, dans une maison modeste de Boston qui deviendra la capitale de l’État du Massachusetts, Abiah Franklin est dans les douleurs de l’enfantement de son septième enfant. Son mari, Josiah attend et se souvient. Peu d’années le séparent de ce 11 novembre 1620 où relâchèrent dans l’anse de Cape Cod les cent deux survivants du vaisseau le Mayflower, les pilgrim’s father, qui allaient fonder l’embryon de la plus grande nation du vingtième siècle.
De la chambre voisine, on entend le cri d’un nouveau-né. Josiah Franklin, fils d’un émigré anglais, ne sait pas encore qu’il est devenu le père d’un des plus grands génies du XVIII° siècle, l’une des plus illustres figures de l’histoire américaine.
Boston est calme ce jour-là, mais le monde est en feu. En Europe c’est la guerre de succession d’Espagne. Lord Churchill, duc de Malborough « s’en va-t-en guerre » contre les Français et les défait à la bataille de Ramillies. Français et Anglais s’étripent pour contrôle des Caraïbes et les Espagnols occupent toujours sept Etats du futur Far West (ils ne deviendront mexicains qu’en 1827) et la Floride. Pendant ce temps, les Français contrôlent tout le territoire réparti le long du Mississipi représentant plus d’une vingtaine d’Etats aujourd’hui.
La période est trouble, mais en Nouvelle-Angleterre, la famille Franklin mène une vie simple, pieuse, tranquille et laborieuse. Le jeune Benjamin est bon élève, mais hélas les revenus de la famille ne suffisent pas à pourvoir à ses études, et à dix ans, son père le prend avec lui dans sa fabrique de savon. Benjamin, éclectique et curieux, pratiquera plusieurs métiers. Précoce, il est déjà passionné de lecture et son père en 1718 (il n’a que douze ans) l’envoie chez son demi-frère, imprimeur à Boston, qui publie : le New England Courant, journal pamphlétaire et subversif, ce qui conduira bientôt son rédacteur sous les verrous. Sans coup férir, le jeune Benjamin continue le journal avant qu’il ne soit définitivement interdit. Un idéal de liberté irrigue ce cerveau hors du commun – lointaine encore est l’année 1756 où il sera reçu membre de la Royal Society -. Et déjà, sous l’adolescent, perce le journaliste, le savant et, plus tard, l’homme d’Etat.
On le retrouve à Philadelphie, ville des Quakers anti-esclavagistes et des premiers colons suédois. Il est ouvrier imprimeur. Il y rencontre le gouverneur, William Keith qui lui propose de l’aider à créer sa propre affaire lui promettant de garantir les emprunts nécessaires. Benjamin Franklin part aussitôt pour Londres acquérir le matériel indispensable à cette entreprise – ce sera son premier séjour britannique -, mais le soutien financier de Keith fait défaut et il doit alors travailler comme imprimeur à Londres pendant dix-huit mois avant de revenir en Pennsylvanie. En 1729, il a vingt-trois ans ; il acquiert la Pennsylvania Gazette qui deviendra le quotidien le plus lu de l’Amérique coloniale. La pratique du journalisme comme levier de diffusion des idées nouvelles lui apparaît clairement et restera longtemps sa vocation.
L’Almanach du Bonhomme Richard (Poor Richard’s Almanac)
En effet, l’activité professionnelle principale de B. Franklin à ses débuts est le journalisme. En 1732, sous le pseudonyme de Richard Saunders, il commence à publier cet « Almanach du Bonhomme Richard », une forme journalistique très prisée dans les treize premières colonies de la côte Est. Le nom de Richard Saunders est celui du personnage principal d’un almanach satirique londonien populaire au XVIIe siècle et dont la publication s’était poursuivie tout du long du XVIIIe siècle en Angleterre. Franklin le reprend et se dissimule derrière le pseudonyme de Richard Sanders.
L’almanach tire à quelque dix mille exemplaires par an, ce qui est considérable à l’époque.
Le détail est assez peu connu, mais la publication de l’Almanach du Bonhomme Richard eut une très large audience ; elle apporte à B. Franklin une grande popularité et sera durant vingt-cinq ans sa principale source de revenus.
L’almanach est rédigé dans un style philomatique très populaire au XVIIe siècle. Il fournit en effet des informations les plus diverses sur le temps et les données astronomiques et astrologiques. On y publie des poèmes, des dictons ainsi que des maximes où B. Franklin, qui en est l’auteur, alterne le cynisme et l’humour. On y trouve également des références aux Sciences Naturelles, à la Physique, aux Mathématiques, leur application aux Arts, mais aussi à la politique.
À partir de 1750, Franklin commence d’y inclure des aphorismes et des proverbes de son cru. Ces maximes prennent généralement l’aspect de pamphlets aigres sur les mœurs de la société de son temps, et petit à petit, ses appréciations et critiques sur la politique se feront plus fréquentes.
Benjamin Franklin et la Franc-maçonnerie
En 1723, les « Grandes Constitutions » de la Grande Loge de Londres définissent les principes fondamentaux de la Franc-maçonnerie universelle et l’Institution se développera d’autant plus vite dans les colonies américaines qu’on peut y lire le filigrane d’un appel à la tolérance et à la liberté. L’avenir sent la poudre ; un vent d’indépendance souffle déjà sur ces colonies de la couronne. Ce sera la guerre et, le 5 septembre 1781, l’Angleterre, vaincue, sera condamnée à traiter. L’indépendance se dessine.
Bien que la première loge d’inspiration anglaise : St. John’s Lodge, constituée dans les colonies américaines, soit créée à Boston, la ville de Philadelphie est le berceau de la Maçonnerie aux Etats-Unis. Benjamin Franklin qui, depuis toujours, prône des vertus de tolérance et de liberté retrouvées dans son Autobiographie XX, découvre sans doute dans le credo maçonnique un écho aux espoirs décrit dans son programme scientifique d’amélioration personnelle : liberté, tempérance, sincérité, justice. Il est initié dans la « respectable loge Keystone » à Philadelphie où il sera élevé à la Maîtrise le 24 juin 1731.
L’esprit du protestantisme et de la Franc-maçonnerie, liés assez intimement l’un l’autre, imprègneront toujours les institutions de cette Société américaine d’origine britannique dont la culture, avec le temps, s’est imposée à l’ensemble de l’Union. Dans son autobiographie, Benjamin Franklin écrit : « Je fus de plus en plus convaincu que la vérité, la bonne foi, l’honnêteté dans les relations de l’homme avec l’homme étaient de la plus haute importance pour le bonheur dans la vie »1. Un éthos fondé sur la vertu, l’assiduité au travail, l’utilitarisme dans la Société, l’honnêteté des relations entre partenaires, qui sont autant parties du protestantisme que vertus maçonniques. Souvenons-nous que cet esprit fut aussi celui du capitalisme anglo-saxon « exporté » qui permettra aux Etats-Unis de devenir la première puissance mondiale.
Les Etats-Unis du XVIIIe siècle sont une terre de pionniers, déshérités européens, une terre de violence aussi. Si le libéralisme n’a pas de loi, doit s’instaurer une éthique individuelle et collective très présente au sein des communautés religieuses, majoritairement protestantes – on vient de le voir -, qui cohabitent dans les colonies anglaises. Cette règle est indispensable à la survie d’une société en proie, par ailleurs, à la « loi de la jungle ». L’absence totale, à l’époque, d’un welfare State, exige qu’une fraternité se crée, subvenant aux besoins des malades et des pauvres. La Franc-maçonnerie n’y sera pas étrangère.
Il semble intéressant, pour mieux comprendre le climat et le rôle joué ultérieurement, dès le début du XVIIIe siècle, par la Franc-maçonnerie aux Etats-Unis, d’observer ici succinctement l’histoire de la colonisation américaine. Deux mouvements anglais investirent les côtes orientales de l’Amérique du Nord au XVIIe siècle. Ce furent d’abord, dès 1607, les colons de la Virginia Company of London, au Sud, qui fondèrent l’agglomération de Jamestown, puis en 1620 les puritains, au Nord, qui créèrent la ville de Boston, capitale de la Nouvelle-Angleterre. À partir de cette polarité, deux groupes se développèrent indépendamment l’un de l’autre. Le groupe Sud, dirigé par une aristocratie financière de planteurs esclavagistes (esclaves qui leur sont d’ailleurs vendus par les puritains du Nord depuis 1618), et le groupe Nord constitué de ces mêmes puritains fuyant les persécutions de Jacques 1er , Stuart anglican.
Le point commun de ces deux communautés était un désir de liberté et d’affranchissement de la tutelle anglaise, une volonté de pouvoir se libérer des entraves à leurs convictions religieuses ou politiques. La statue érigée devant New York représentant la « Liberté éclairant le monde », atteste de ce postulat inaltérable.
C’est de la loge « Saint André » de Boston, dirigée par Joseph Warren, que naquit la Boston Tea Party, événement qui déclencha la guerre d’indépendance. Grand Maître Provincial et chef des «Antients » dans le Massachusetts, Joseph Warren fut tué à la bataille de Bunker Hill. Pendant la guerre, dans la plupart des provinces, les membres des loges « anciennes » se rangèrent plutôt du côté des insurgents, avec George Washington, Joseph Warren et Benjamin Franklin, alors que ceux des loges « modernes » s’engagèrent plutôt du côté de l’Angleterre.
Parallèlement, s’installe un sentiment d’entraide à l’intérieur des communautés religieuses – surtout au nord – où la confiance repose sur la parole donnée. Le progrès économique du Nord industriel, l’enrichissement individuel, la croissance exponentielle de ce pays neuf doit s’assortir d’une règle de vie intangible, inaliénable. À titre d’exemple, deux villes deviennent vite les pôles économiques de la Nouvelle-Angleterre : Boston, presbytérienne et connue pour son austérité ; Philadelphie où croissent les sectes (lisons plutôt communautés religieuses) dont « le détachement de ce monde est devenu aussi proverbial que la richesse, comme les quakers ou les mennonites, qui unissent la vie réglée de la religion à un sens très aigu des affaires. À cela s’ajoute, à Philadelphie, une vie intellectuelle sans rivale.
La touffeur du Sud agricole porte sans doute les colons à une vie plus relâchée, moins rigoureuse. Deux modes de vie vont dès lors se créer et s’éloigner de plus en plus l’un de l’autre. Cette dichotomie s’accentuant, le Sud voudra fonder le Dixieland et la guerre éclatera. Les raisons fondamentales de cette guerre furent bien davantage économiques qu’humanitaires, les esclaves africains vivant sans doute mieux sous la protection des grands propriétaires que, plus tard, dans les slums du Nord.
Et l’on ne s’étonnera pas que ce fut à Boston d’abord, à Philadelphie ensuite qu’apparaissent les premières loges. La Franc-maçonnerie américaine, héritière de l’Angleterre, prendra rapidement une expansion considérable. S’y retrouvent des hommes de bonne volonté, ardents défenseurs de la Liberté, responsables, respectueux des règles de vie. L’assiduité aux cultes dominicaux, le respect des règles familiales, l’intégrité dans les affaires soudent ces hommes du Nouveau Monde au sein d’une fraternité solide. La responsabilité individuelle de l’être humain devant Dieu, conforme à l’esprit du protestantisme, est présente à chaque heure de la journée. Elle l’est aussi dans la Franc-maçonnerie américaine, peut-être mieux qu’ailleurs, dans ce pays qui « s’est fait » lui-même ex nihilo. Presque tous les hommes d’exception qui tinrent un rôle fondamental dans cette nation émergente du XVIIIe siècle en firent partie, Benjamin Franklin plus qu’un autre.
Georges Washington (1732.1799) et bien d’autres parmi les patriots que furent les cinquante-six signataires de la Déclaration d’Indépendance et les trente-neuf signataires de la Constitution étaient paroissiens des communautés protestantes et membres de loges maçonniques, tous émules de John Locke, précurseurs du libéralisme et de la notion d’« État de droit », et dont l’influence fut considérable dans ces deux courants de pensée. Benjamin Franklin est, rappelons-le ici, un des 13 signataires de la Constitution des Etats-Unis.
Plus tard, lors de son séjour en France, dès 1776, Franklin se liera d’amitié avec bon nombre de Francs-maçons influents dont le marquis de Mirabeau et, lors de la guerre d’indépendance, beaucoup d’Européens appuieront les insurgés, parmi eux le Marquis de Lafayette ; le baron prussien von Steuben, ami de Frédéric II, devenu major général ; les Polonais, comte Casimir Pulaski, brigadier général de cavalerie et le comte Kosciusko brigadier général du génie, tous dans l’armée de Washington… et tous Francs-maçons.
C’est à cette époque que Benjamin Franklin est élu imprimeur officiel du gouvernement de la Pennsylvanie. Parallèlement, il fonde la Compagnie de la bibliothèque de Philadelphie, un moyen de transmettre les idéaux de liberté, qui se développera l’état de Pennsylvanie et dans les autres colonies de la couronne. Son influence grandit. Il est l’homme des Lumières. Déjà perce l’homme politique, le diplomate, mais aussi le scientifique.
Son action en Europe
On le voit à nouveau en Angleterre en 1755 avec le titre des Directeurs des Postes de Sa Majesté britannique sur le continent américain. À Londres, le « colonisé » est en but aux humiliations de l’Establishment, au mépris de l’aristocratie anglaise et à l’insolence des grands. Se souvient-il alors de ce passage du Discours de Rousseau paru la même année, où le philosophe genevois écrivait : « Parmi nous, il est vrai, Socrate n’eût point bu la ciguë ; mais il eût bu, dans une coupe encore plus amère, la raillerie insultante, et le mépris pire cent fois que la mort » ? L’ethos à la fois puritain et maçonnique de Franklin est à l’opposé du pathos aristocratique de la noblesse britannique. Ses écrits, comparables aux sermons des pasteurs, n’ont pas le brillant des œuvres des lettrés de la Renaissance ; ils sont destinés aux bourgeois et aux couches inférieures de la classe moyenne. Son rôle est difficile, mais il tient bon. Il doit à la fois concilier les intérêts des colonies anglaises et répondre à l’aspiration des Américains à un gouvernement indépendant en matière fiscale et douanière. N’oublions jamais que les raisons fondamentales de cette guerre d’indépendance furent la fiscalité écrasante et l’assujettissement moral dont les colons étaient l’objet de la part de Londres. Ses tentatives de conciliation n’aboutiront pas. Ce sera la guerre.
Pendant ce temps, il va à Paris et à Versailles où il est reçu à bras ouverts. Les Français voient en lui l’homme providentiel, acteur principal d’une revanche contre l’Angleterre. On y reçoit le philosophe, le savant, l’homme d’esprit. Le roi Louis XV échangera avec lui « quelques paroles gracieuses » ; il rencontrera les Encyclopédistes, parmi eux Jean le Rond d’Alembert, membre de la prestigieuse Loge des neuf Sœurs et ami de Diderot, le Franc-maçon Gaspard Monge, fondateur de l’école Polytechnique ; il accompagne le Franc-maçon Montgolfier dans un des premiers vols du fameux ballon. Éclectique et manuel de génie, il installe un paratonnerre de sa fabrication sur l’église d’Arpajon, non loin de Paris.
Parlant français, allemand, espagnol et italien, il évolue partout, comme un poisson dans l’eau, avec aisance, mais ne perd pas de vue son rôle d’organe de propagande pour la cause des colonies du roi George, alors que le regard des insurgés se tourne vers la France, laquelle, officiellement en paix avec l’Angleterre, appuyait en sous-main les demandes du Congrès américain par l’intermédiaire officieux du libéral Beaumarchais, jusqu’à ce que Vergennes, secrétaire d’état aux affaires étrangères de Louis XV, finisse par accorder une avance de deux millions de livres aux Insurgents.
En France, Benjamin Franklin ne cesse pas ses activités maçonniques. En 1778, il est reçu dans la loge des neuf sœurs. La même année, le 7 avril, Voltaire y sera initié deux mois avant sa mort ; il en est élu Vénérable l’année suivante. Plus tard, en 1776, il se rendra à Montréal comme commissaire du Congrès américain tenter de créer une union entre l’Union et la Nouvelle-France appuyé cette fois dans cette entreprise par le frère Fleury Mesplet, ancien imprimeur à Philadelphie, installé à Montréal et qui avait été initié lui-même à Paris à la loge des neuf sœurs. Le projet hélas avorta et le Canada resta britannique.
La Loge des Neuf Sœurs
Bien avant 1789, les intellectuels des deux rives de l’Atlantique, en majorité Francs-maçons, réfléchissaient à l’aspect d’un nouveau paradigme sociétal, d’un monde nouveau fondé sur les trois vertus : Liberté, égalité, fraternité.
Les prémices de la Révolution de 1789 apparaissaient déjà en filigrane et la Franc-maçonnerie d’où qu’elle fut, n’y était pas étrangère.
La loge des neuf sœurs fondée, en 1776 par l’astronome Joseph Jérôme Lefrançois de Lalande, en fut sans doute le pivot. Elle rassemblait l’élite de la société française de l’époque qui participa de cette manière, indirectement, au soutien français à la cause américaine. La guerre d’indépendance des colonies britanniques était en quelque sorte un premier « ballon d’essai », une tentative d’affranchissement des colons de la tutelle des puissances européennes. Une société nouvelle ne pouvait naître que d’un monde nouveau.
Il serait hasardeux de dire que les idées de la Révolution française aient pris naissance dans les Colonies anglaises en Amérique. Toutefois, il apparaît certains que les « événements américains » jouèrent un rôle majeur.
La guerre d’Indépendance américaine commence en 1775, mais le germe libéral et républicain croît depuis bien longtemps. Les idées circulent et le vent de l’Histoire gonfle les voiles des vaisseaux qui croisent dans l’Atlantique. Ces idées, véhiculées par la Franc-maçonnerie américaine, sont analysées avec intérêt par ceux qui joueront un rôle majeur dans ce qui n’était encore qu’un embryon de révolution.
Thomas Paine, cet Anglais quaker, déiste, émigré en Amérique dont le rôle fut déterminant dans la révolte fut l’auteur du pamphlet : The rights of man (les droits de l’homme) publié en 1791, était lié à la Franc-maçonnerie. Qui se souvient que cet Américain, naturalisé Français, fut élu député à l’Assemblée nationale en 1792, allié des Girondins, mis à l’écart par Robespierre, puis emprisonné en décembre 1793 avant de retourner en Amérique ?
L’influence indirecte, sous-jacente de la loge des neuf sœurs pendant les évènements révolutionnaires, s’explique lorsque qu’on sait quels en furent les membres les plus éminents, bien qu’il est vrai qu’il ait été de bon ton à l’époque d’appartenir à l’Institution :
Jean François Marmontel, encyclopédiste et académicien ;
Jean baptiste Greuze, artiste peintre ;
Antoine Court de Gébelin, protestant né à Genève, patrie de Jean-Jacques Rousseau, auteur du : « Monde primitif analysé et comparé avec le monde moderne » ;
Niccolo Vito Piccini, compositeur ;
Augustin Papon, sculpteur dont les œuvres figurent au Louvre ;
Nicolas Bricaire de la Dixmerie, homme de lettre ;
Joseph Jérôme Lefrançois Lalande, astronome renommé, co-auteur du Calendrier républicain.
Le docteur Guillotin, auteur de la trop célèbre « machine », néanmoins fervent abolitionniste de la peine de mort ;
Chamfort, académicien ;
Jean Antoine Houdon, sculpteur ;
Jacques Montgolfier, issu de la prolifique famille éponyme, et créateur du fameux aérostat ;
L’éclectique Joseph Bologne de Saint George, dit Chevalier de Saint George, mulâtre né en Guadeloupe, militaire célèbre et ardent partisan de l’abolition de l’esclavage ;
L’abbé Nicolas Roze, ecclésiastique libéral et compositeur, remarqué comme membre des Loges Les Cœurs Simples de l’Étoile Polaire, Saint Jean d’Écosse du Contrat social et de L’Olympique de la Parfaite Estime, enfin des Neuf Sœurs ;
John Paul Jones, célèbre marin américain d’origine écossaise, auteur de fait d’arme sur mer contre les Anglais lors de la guerre d’indépendance et dont l’Amiral La Motte Piquet fit l’éloge ;
Pierre-Louis Guinguené, homme de lettres, ambassadeur à Turin ;
Sieyès, auteur de « Qu’est-ce que le Tiers Etat ?», texte fondateur de la Révolution française, élu de la Convention et académicien ;
Dominique Joseph Garat, journaliste, philosophe, académicien, ministre de l’Intérieur et de la Justice sous la Révolution ;
Nicolas François de Neufchâteau, poète, homme de lettres, admiré de Rousseau et de Voltaire, chantre de la laïcité avant l’heure, homme politique, il survécut successivement sous la Révolution, le Directoire, le Consulat et l’Empire ;
L’Abbé Grégoire, humaniste, figure emblématique de la Révolution française, membre de l’Institut, défenseur de l’abolition de l’esclavage, député à la Constituante et à la Convention ;
Nicolas d’Alayrac, membre fondateur de la « Loge des Amis Réunis », du « Centre des Amis » et de l’« Olympique de la Parfaite Estime ». Il préside à cette époque la loge des « Neuf Sœurs » qui tient ses séances dans son hôtel particulier ;
Desmeunier, Président de l’Assemblée constituante, modéré et conciliateur, il fuira en Amérique sous la Terreur ;
Emmanuel de Pastoret, révolutionnaire modéré, il plaide la cause de Louis XVI contre ses conseillers et devra s’exiler sous la Terreur, revenant sous le Consulat et l’Empire, il participe à la Restauration et à la monarchie de juillet ;
Lacepède, naturaliste et ami de Buffon, il sera Président de l’Assemblée législative et pair de France ;
Pierre Georges Cabanis, médecin, philosophe, émule de Locke, fondateur d’une philosophie classique inspirée du sensibilisme de Condillac qui s’oppose au rationalisme cartésien ;
Louis Marcellin de Fontanes, écrivain et poète, membre de l’Institut et de l’Académie française, créateur des lycées ;
Carle Vernet, peintre, auteur des « matins d’Austerlitz » ;
Camille Desmoulins, figure de la Révolution, ami de Robespierre et Mirabeau;
Jérôme Pélagie Masson du Meslay qui recevra Voltaire le jour de son initiation dans la loge ;
Louis-Felix Guinement, chevalier de Kéralio, militaire et académicien,
Et parmi les plus connus, naturellement Voltaire et Benjamin Franklin qui en fut le Vénérable Maître.
Bien qu’il ne fut pas membre de la loge des neuf soeurs, n’oublions pas de citer l’ondoyant Franc-maçon Cambacérès qui traversa adroitement la Révolution, le Directoire, le Consulat et l’Empire, votant successivement la mort de Louis XVI, la déchéance de Napoléon 1er qu’il aura servi, ainsi que Talleyrand, même si ce dernier ne resta qu’apprenti sa vie durant.
La Franc-maçonnerie disparut pratiquement pendant la période la plus sanglante de la Révolution et la loge des neuf sœurs ne faillit pas à la règle. Elle fut mise en sommeil en 1792 et ne put reprendre ses activités qu’en 1805. Cependant, le travail était fait. La plupart des plus célèbres penseurs des Lumières avaient ébauché dans son cénacle la Nouvelle Société qui fonderait la future République et changerait l’ordre du monde, d’un côté ou de l’autre de l’Atlantique. Ainsi peut-on affirmer sans crainte que le monde ait été reconstruit sous la forme que nous lui connaissons, que ce soit en Angleterre, en Amérique, ou en France, sous l’influence de la Franc-maçonnerie et de ses acteurs les plus notables parmi lesquels figurait Benjamin Franklin.
L’apothéose
Les défaites des Anglais aux batailles de Saratoga et Yorktown précipiteront le mouvement et conduiront à la signature du Traité de Paris en 1783.
Imprégné d’idées rousseauistes, Benjamin Franklin luttera le reste de sa vie pour l’abolition de l’esclavage. Président de la Pennsylvania Abolition Society, il permit que cette question de l’abolition soit inscrite à l’ordre du jour de la Convention Constitutionnelle de 1787 inspiré des préceptes de Montesquieu et de Locke et qui reste la base de l’actuelle Constitution toujours en vigueur.
Benjamin Franklin a 81 ans. Il mourra l’année suivante. Eut-il été plus jeune, il aurait joué un rôle politique majeur dans l’avenir de l’Union et en serait peut-être devenu le Président.
BIBLIOGRAPHIE
ALDRIDGE (Alfred-Owen), Benjamin Franklin et ses contemporains, Klincksieck, 2003.
Une approche comparatiste situant l’homme dans son temps.
FOLHEN (Claude), Benjamin Franklin : l’américain des Lumières, Payot, 2000.
Cette biographie décrit en parallèle l’homme universel, le self-made man qui fut tout à la fois savant, humaniste, écrivain, diplomate, journaliste, éditeur, physicien, et le processus d’indépendance de la nation Américaine. Certainement la meilleure étude sur le sujet.
FUMAROLI (Marc), Quand l’Europe parlait français, Editions de Fallois, 2001 (chap. 22).
LAGRAVE (Jean-Paul de), La vision cosmique de Benjamin Franklin, Septentrion Québec, 2003.
LERAT (Christian), Benjamin Franklin : Quand l’Amérique s’émancipait, Presses Univesitaires de Bordeaux (PUB), 1995.
MAURICE (René), Des Américains à Paris : De Benjamin Franklin à Ernest Hemingway, Sextant éditions, 2004.
RIBADEAU-DUMAS (François), La destinée secrète de La Fayette, Robert Laffont, 1972.
Les destins croisés de deux francs-maçons, Franklin et La Fayette, l’un cherchant le soutien de la France, l’autre la gloire en Amérique. Un livre passionnant et très documenté.
L’histoire des USA sur ses fonds baptismaux… la F. M. (avec, outre B. Franklin, Adams, Washington, Lafayette, Jefferson., etc. ) a été le creuset de cette révolution pour et vers l’indépendance, la révolte de la « Boston Tea Party » en 1773 en a t été l’amorce. La visite de la Grande Loge des Massachusetts Free Massons à Boston (https://massfreemasonry.org/the-grand-lodge/) est un « régal » pour se replonger dans cette histoire et percevoir le pouvoir réel de la F M Anglaise et des F M qui ont « fait » les Etats Unis. A ne pas manquer lors d’une visite à Boston!! (Le pouvoir de la GLA – Grande Loge d’Angleterre- perdure dans le « monde anglo-saxon », notamment dans les 56 pays du Commonwealth).
Sur Benjamin Franklin, un fait rarement cité même par les auteurs US.
Né en 1706 à Boston (Mass.), il fut d’abord imprimeur à Philadelphie et édita la 1° édition américaine (1734) des Constitutions d’Anderson avant d’être ‘initié’. Il fut fait maçon en 1731 à Philadelphie à la St John Lodge n°1. Il y fut actif et devint GM provincial de la GL d’Angleterre (« modern ») pour la Pennsylvanie en 1734.
La suite de sa carrière est connue. Il prit le parti des insurgés américains et fut envoyé en France par eux comme ambassadeur.
Quand il revint en Pennsylvanie après l’indépendance (donc près de 10 ans plus tard), les loges « Modernes » avaient été remplacées par des loges « Anciennes » (comme je l’ai déjà dit, la distinction modern/antient était plutôt sociale que rituelle, en Amérique comme en Angleterre). A Philadelphie, les loges moderns avaient été remplacées par des loges de type Antient composées de partisans de l’indépendance (les maçons « moderns » étaient soit réfugiés au Canada soit retournés en Angleterre.
Franklin était un maçon « modern » et comme tel il fut ignoré par les Antients. Quand il mourut, en 1790, 20.000 personnes assistèrent à ses funérailles (tous les corps constitués de la ville, civils, militaires et clergé). Les loges de la ville ignorèrent superbement l’événement ! BJ était un des plus anciens fm du pays, il avait été GM provincial (sans compter ses activités maçonniques à Paris !), mais il était devenu « the wrong sort of Freemasons » pour les FF de Philadelphie. Pensez donc ! Un Maçon « modern » ! (Steven C. Bullock. « Revolutionaryi Brotherhood », 1996. Chap. 3)
Just for the fun ! Le 17 novembre 1760, la Grande Loge se réunit à la taverne Crown and Anchor dans le Strand (à Londres, en face de l »église St Clement Danes). 60 loges étaient représentées. Deux visiteur de marque étaient présents, un GM provincial des Indes orientales dont j’oublie le nom et le F. Franklin Esq. de Philadelphie, présenté sous sa double casquette de GM Provincial et de Grand Secrétaire. Le prénom est omis mais la qualité et l’origine ne font pas de doute. C’était 16 ans avant la déclaration d’indépendance ! (les spécialistes de Noorthouck auront reconnu la provenance de l’information).
2 – Ça, tout de même, devrait te faire réfléchir bien au-delà d’un problème d’origine sociale quand aux différences entre Moderns et Antients.
Voilà un homme né aux Amériques, d’origine anglaise, père fondateur des USA, plus ancien maçon du pays, qui se voit rejeté par les loges américaines d’obédience Antients.
Quel peut être le motif social d’un rejet si catégorique d’une telle personnalité, au point de ne pas lui rendre hommage au moment où tout est pardonné selon les principes religieux scrupuleusement respectés par les Antients ?
Il me semble évident qu’il est considéré « the wrong sort of Freemasons » et ne mérite ainsi aucun égard parce qu’il est Modern et qu’il y a des différences fondamentales entre la maçonnerie qu’il pratique et celle des Antients, notamment celle d’être, au mieux, totalement indifférente à la religion, celle-ci concrètement absente de tout principe Modern.
Les Antients le considèrent comme un athée, tel qu’ils ont toujours considéré les Moderns (à tord !
Pauvre obstiné, aveuglé par le ressentiment !
La différence entre anciens et modernes n’est pas de « croire » ou non en Dieu (ils le faisaient chacun à leur manière). Elle se trouve dans le regard que chacun porte sur l’autre, le socialement favorisé et l’économiquement pauvre !
Passionnant ! Qui peut dire qu’il/elle connaissait ces pans de l’histoire ?